«La voiture est notre vache sacrée. Nous devons repenser la mobilité.»

La Suisse compte près de cinq millions de voitures. En d’autres termes, les sièges avant pourraient accueillir toute la population. Qu’est-ce que cela dit de nous et comment y changer quelque chose? C’est ce que nous apprend Timo Ohnmacht, sociologue et chercheur en mobilité.

Texte   Timo Ohnmacht

15.10.2024

  • Futur

«Fin juin 2024, la Suisse a franchi la barre des neuf millions d’habitant·e·s. Et vous savez quoi? Les sièges avant de nos voitures pourraient tou·te·s les accueillir. Je ne plaisante pas: plus de 4,7 millions de voitures circulent dans notre pays. Trois pour cent Ă  peine sont Ă©lectriques â€“ mais ce n’est pas la question qui nous intĂ©resse le plus ici.

La voiture est plus qu’un simple moyen de locomotion. Elle fait partie intĂ©grante de nos vies et occupe une place de choix dans l’environnement bâti. Certains de mes collègues la qualifient mĂŞme de «virus» â€“ un virus qui jouit d’une grande acceptation dans la sociĂ©tĂ© malgrĂ© les dommages qu’il cause. Et selon toute probabilitĂ©, les choses ne sont pas près de changer. La persistance du système basĂ© sur la voiture va Ă  l’encontre des changements requis d’urgence pour ralentir le rĂ©chauffement climatique et prĂ©server notre qualitĂ© de vie.

Plus d’infrastructures = de plus longs trajets Ă  durĂ©e Ă©gale

Depuis des dĂ©cennies, non seulement le taux de motorisation â€“ c’est-Ă -dire le nombre de voitures pour 1'000 habitants â€“ se maintient Ă  un niveau Ă©levĂ©, mais nos habitudes en matière de dĂ©placement restent inchangĂ©es. Aujourd’hui comme en 1970, nous effectuons environ un trajet pendulaire sur deux en voiture. Ce qui a changĂ©, en revanche, c’est la rapiditĂ© de nos dĂ©placements. Nous n’avons cessĂ© de dĂ©velopper les routes et gĂ©nĂ©rer une espèce de «machine Ă  optimiser le temps de trajet»: une meilleure infrastructure amĂ©liore l’accessibilitĂ© et permet d’effectuer de plus longs trajets Ă  durĂ©e Ă©gale â€“ de sorte que le trafic ne cesse d’augmenter. C’est un cercle vicieux.

L’exemple de nos voisins outre-Atlantique montre Ă  quoi cela peut conduire dans le pire des cas: Los Angeles dĂ©veloppe la capacitĂ© de ses routes depuis 60 ans mais les embouteillages ne diminuent pas, au contraire. Le dĂ©veloppement constant des infrastructures en rĂ©ponse Ă  l’augmentation du trafic peut entraĂ®ner un allègement Ă  court terme, mais Ă  long terme, les automobilistes rĂ©agissent en «rĂ©investissant» les temps de trajet Ă©conomisĂ©s.

« La voiture reste une «vache sacrĂ©e» Ă  laquelle il est difficile de toucher. »

En Suisse, on constate par ailleurs que le trafic urbain n’augmente plus depuis des années. Les villes sont tout simplement saturées. Il n’y a pas de place pour plus de voitures. C’est particulièrement flagrant aux heures de pointe, qui s’étendent désormais sur plusieurs heures. Heureusement, dans les centres urbains, la majorité des politiques et des décideurs l’ont compris et réagissent depuis un certain temps par des mesures telles qu’une réduction des places de parc ou la transformation de surfaces de circulation en zones vertes.

Mais cela ne suffit pas. Ce qu’il nous faut, ce sont des réglementations strictes. Le passé a montré que les solutions basées sur le volontariat ou de nouvelles formes de mobilité ne suffisaient pas pour réduire le trafic automobile. La voiture reste une «vache sacrée» à laquelle il est difficile de toucher. Pourtant, il y a un énorme potentiel à exploiter, particulièrement en zone urbaine.

Des concepts prometteurs: la «ville des 15 minutes» et la «ville du vĂ©lo Ă©lectrique»

Je trouve des concepts tels que celui de la «ville des 15 minutes» assez prometteurs: toutes les infrastructures de la vie quotidienne doivent se trouver Ă  15 minutes Ă  pied ou Ă  vĂ©lo. Ce concept favorise une meilleure qualitĂ© de vie, rĂ©duit le trafic automobile et prĂ©serve l’environnement. Un autre modèle intĂ©ressant est celui de la «ville du vĂ©lo Ă©lectrique». Il s’agit d’un concept d’amĂ©nagement de l’EPF de Zurich proposant de transformer jusqu’à la moitiĂ© des routes urbaines ouvertes aux voitures en zones vertes et voies rapides pour les vĂ©los. De tels concepts montrent qu’il existe des alternatives permettant de gagner de la place tout en prĂ©servant l’environnement.

Je suis non seulement chercheur en transport, mais aussi sociologue. Et en tant que tel, je constate qu’à l’heure actuelle, le débat est dominé par les questions technologiques. Or nous avons non seulement besoin de technologies plus évoluées, mais aussi et surtout d’un changement social. Nous devons être prêts à mener une discussion de fond sur notre utilisation des moyens de déplacement.

« Les voitures Ă©lectriques, par exemple, participent aussi pour une petite part Ă  la transition dans le domaine des transports. »

Des concepts tels que les super-Ă®lots, oĂą une seule rue du quartier reste ouverte aux voitures, ou la «ville des 15 minutes» Ă©voquĂ©e prĂ©cĂ©demment, montrent comment le changement pourrait intervenir. Des prestataires de mobilitĂ© tels que Mobility sont la preuve qu’il existe des alternatives non seulement innovantes techniquement parlant, mais aussi pertinentes sur le plan sociĂ©tal. Si le car sharing et d’autres concepts similaires jouent encore un rĂ´le marginal actuellement, ils permettent une prise de conscience et offrent des alternatives pratiques aux vĂ©hicules privĂ©s.

De telles offres pourraient changer le comportement de mobilité à long terme, en particulier si elles sont développées et proposées à plus grande échelle. En fin de compte, c’est la somme des différentes innovations qui permettra d’obtenir un changement de grande ampleur. Les voitures électriques, par exemple, participent aussi pour une petite part à la transition dans le domaine des transports. Toutefois, leur utilisation en ville soulève les mêmes questions que celle des véhicules à combustion.

Je suis persuadĂ© qu’il faudra combiner le progrès technologique et le changement sociĂ©tal pour modifier les transports Ă  long terme. Mettre en Ĺ“uvre des solutions d’avenir sans faillir demande du courage et de la persĂ©vĂ©rance. Des entreprises comme Mobility, qui encouragent de nouvelles formes de mobilitĂ©, contribuent Ă  rendre la mobilitĂ© de demain plus durable et plus agrĂ©able. Partons ensemble Ă  sa dĂ©couverte â€“ par la recherche, par des Ă©changes avec la population et dans la pratique avec la ConfĂ©dĂ©ration, les cantons et les communes.»

(Fin de l’article)

Ă€ propos

Timo Ohnmacht (45 ans) est docteur ès lettres. Il a Ă©tudiĂ© les transports et la sociologie Ă  l’UniversitĂ© technique de Berlin, l’UniversitĂ© de Lancaster (Royaume-Uni) et l’École polytechnique fĂ©dĂ©rale de Zurich. Depuis 2011, il effectue des recherches et donne des cours Ă  la croisĂ©e de sujets tels que l’énergie, l’espace, les transports et la sociĂ©tĂ© au sein du dĂ©partement Économie du centre de compĂ©tences pour la mobilitĂ© de la Haute Ă©cole spĂ©cialisĂ©e de Lucerne. Timo Ohnmacht vit avec sa famille Ă  Lucerne et Melchsee-Frutt.

(Photo: HSLU)

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