Jürg Grossen, nous nous retrouvons à Frutigen, où vous vivez et travaillez. L’Oberland bernois ne fait pas vraiment partie des régions phares pour le car sharing. Est-ce que cela vous dérange?
Il faut voir les choses différemment. Je suis bien sûr un fervent défenseur du car sharing. Dans le même temps, je suis conscient de la place importante de la voiture personnelle dans les régions rurales. C’est compréhensible. L’offre de transports publics y est souvent plus mauvaise et les zones d’habitation sont dispersées. La voiture personnelle est synonyme de liberté et de flexibilité. Dans les régions rurales, je perçois surtout un potentiel pour le car sharing dans le domaine professionnel.
Dans quelle mesure?
Notre entreprise propose depuis de nombreuses années une flotte de voitures électriques. Nous avons dix modèles de différentes marques aujourd’hui, qui sont en permanence à la disposition de nos collaborateurs. En plus de la flexibilité offerte à nos collaborateurs par le modèle de flotte, nous diminuons nos émissions de CO₂ grâce aux voitures électriques, le tout avec des coûts d’exploitation et d’entretien beaucoup plus bas.
L’électrique a le vent en poupe. Pour autant, l’évolution des voitures électriques a ralenti ces derniers temps. À quoi est-ce dû?
En effet, les immatriculations stagnent, ce qui est problématique. L’une des raisons est que la Suisse a défini des chiffres de flotte trop bas. Ainsi, les importateurs manquent de motivation cette année pour faire venir des voitures électriques en Suisse. Toutefois, à partir de 2025, des objectifs de flotte beaucoup plus élevés et des règles de CO₂ plus strictes pour les nouveaux véhicules s’appliqueront comme dans l’UE, ce qui devrait relancer le développement.
La situation de la Suisse est pourtant idéale: par exemple, l’infrastructure de recharge est développée en continu.
Il faut ici faire la distinction entre l’infrastructure publique et l’infrastructure privée. Dans le domaine public, par exemple sur les autoroutes, beaucoup de choses ont été accomplies ces dernières années. La situation est en revanche différente dans le domaine privé, où on déplore un manque important.
Pouvez-vous détailler?
Les chiffres de vente des voitures électriques stagnent notamment parce que les installations des infrastructures de recharge sont retardées voire complètement rendues impossibles dans de nombreux immeubles. Si les propriétaires de maisons individuelles peuvent s’occuper eux-mêmes de leur infrastructure, les locataires dépendent du bon vouloir de leur propriétaire.
Comme nous sommes un pays de locataires, ce point est loin d’être négligeable.
Absolument. Plus de 70% de la population suisse vit en location, en propriété par étages ou en coopérative. Avec le taux de logements en propriété le plus bas d’Europe, nos conditions requises pour la poursuite du développement de l’électromobilité sont les plus mauvaises. Je suis donc ravi que le Conseil national ait identifié le besoin d’action et ait récemment adopté ma motion «Recharge des voitures électriques dans les immeubles d’habitation».
Quels sont vos objectifs avec cette intervention?
Cette motion vise à créer les conditions pour que les projets de bornes de recharge ne soient en principe plus interdits. J’aime tirer un parallèle avec la loi sur les télécommunications, dans laquelle est ancrée une obligation de tolérance pour la connexion Internet dans les appartements. Le fait que l’intervention ait été adoptée au Conseil national par 110 voix «oui» constitue à mes yeux une étape importante.
L’infrastructure de transport est un autre sujet politique épineux. À la fin du mois de novembre, la Suisse se prononcera sur une extension massive du réseau d’autoroutes. Quel est votre avis sur le sujet?
Du point de vue de la mobilité individuelle, il est bien sûr judicieux de bien entretenir l’infrastructure routière et de la développer ponctuellement en cas de goulot d’étranglement. Toutefois, les projets existants ne consistent pas à éliminer ces derniers mais plutôt à procéder à un élargissement clair. Cela va trop loin.
Le fait est toutefois que le trafic routier se retrouve à l’arrêt dans tout le pays, et ce, tous les jours et pas uniquement aux heures de pointe.
L’ajout de voies supplémentaires n’y changera rien. Il est bien plus important d’agir avec plus d’intelligence à l’avenir. Cela signifie par exemple de franchir une étape supplémentaire dans la gestion du trafic, ou encore d’investir davantage dans les concepts de mobilité innovants. Nous n’avons pas besoin de plus d’asphalte et de béton, mais de plus d’intelligence.
Il est aussi intelligent que les voitures soient mises à la disposition de plusieurs personnes. C’est ce qu’on appelle le car sharing.
(Rit) L’utilisation commune de véhicules, telle qu’elle est encouragée par Mobility, gagnera en importance à l’avenir. Le fait que Mobility se soit aussi fixé comme objectif d’électrifier peu à peu sa flotte existante est également positif. En plus des points évidents, il existe aussi un autre argument moins manifeste en faveur du car sharing de voitures électriques, qui n’est pas à sous-estimer.
C’est-à -dire?
Plus la flotte de Mobility compte de voitures électriques, plus les gens seront nombreux à avoir l’opportunité de tester une voiture électrique de manière simple et économique. Cela permet de balayer les éventuelles inhibitions qui peuvent subsister.
Les nouvelles technologies ont toujours besoin d’un peu de temps pour s’imposer. Que pensez-vous du projet V2X et de l’idée que les voitures électriques puissent servir de powerbanks mobiles?
C’est l’avenir. Dans notre entreprise, nous misons aujourd’hui déjà sur les technologies de recharge bidirectionnelles et je suis persuadé qu’elles sauront s’imposer à l’avenir.
D’où vient cette conviction?
Avec la nouvelle loi sur l’approvisionnement en électricité, adoptée par le peuple en juin 2024, l’énergie solaire progressera encore plus. Elle sera surtout produite sur les bâtiments, donc là où les voitures électriques sont chargées. Il paraît ainsi évident d’associer les voitures électriques à l’énergie solaire par le biais d’une infrastructure de recharge bidirectionnelle.
Quel est l’intérêt?
C’est simple: quand on a trop d’électricité solaire, on peut recharger la batterie de la voiture électrique avec une puissance de charge élevée. Plus tard, quand le soleil ne brille plus – par exemple la nuit –, on peut utiliser cette batterie pour alimenter le bâtiment voire le réseau électrique. Cela réduit considérablement le besoin de développement des réseaux électriques. Je pense que la technologie de recharge bidirectionnelle est un élément clé de la transition énergétique qui a été décidée.
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