Thomas Sauter-Servaes, Mobility veut électrifier entièrement sa flotte d’ici 2030. Quelle est l’importance de cette décision pour le futur de la mobilité?
La mobilité électrique ne fait pas tout, mais sans la mobilité électrique, on ne fait rien. Nous avons besoin des tournants opérés sur les motorisations tout en étant bien conscients que cela ne suffira pas pour le tournant de la mobilité. Par exemple, l’origine de l’électricité pour les véhicules est importante. Même si les voitures électriques deviennent «plus vertes», il existe encore quelques progrès à faire, tant au niveau de l’utilisation que de la fabrication. Mais le problème principal est tout autre.
C’est-à -dire?
Nous ne pouvons pas nous contenter d’électrifier nos véhicules et de continuer comme nous l’avons fait jusqu’à présent. Il nous faut non seulement de l’e-mobilité, mais aussi de la m-mobilité.
De la m-mobilité?
La mobilité par la force musculaire! Quand on constate que dans les villes suisses, près de 50% de tous les trajets en voiture servent à parcourir moins de cinq kilomètres, on se dit qu’on ferait bien d’encourager la mobilité douce, par exemple en veillant à ce que les villes deviennent plus attractives grâce à des pistes cyclables plus larges pour les cyclistes.
Dans l’espace urbain, le vélo est en effet souvent plus rapide que tout autre moyen de transport. Pourquoi tant de personnes prennent-elles encore leur voiture, y compris en heure de pointe?
La réponse est simple: parce que c’est confortable et que nous y sommes habitués. Le choix du mode de transport est associé à beaucoup d’immobilisme. Nous avons tous grandi sur le siège arrière, et la voiture reste encore un symbole de statut pour beaucoup. Tant que nous construirons des rues et des places de parc, les gens ne se sépareront pas de leur voiture.
Le monde politique y contribue aussi: la Confédération va investir 5,3 milliards dans le développement des autoroutes.
Il est regrettable que nous bétonnions le vieux modèle du système de transports actuel dans l’avenir. En matière de mobilité, il existe un proverbe que la science a toujours confirmé: qui sème les routes récolte le trafic. Je ne suis pas surpris que les politiques investissent malgré tout dans ce domaine.
Pourquoi?
Les politiques veulent être réélus. Beaucoup misent donc sur des mesures populistes qui promettent une solution facile à comprendre contre les problèmes de transport. Je peux le comprendre, mais la multiplication des routes constitue vraiment la mauvaise approche pour faire face à la pression croissante du trafic.
Que faut-il faire?
De fortes impulsions sont nécessaires pour que nous changions notre façon de penser et que nous envisagions d’autres moyens de transport. Pour cela, nous avons besoin de messages les plus clairs et attractifs possibles. Il est aussi essentiel que les différents groupes d’intérêt – par exemple, représentants du secteur automobile et des transports publics – se montrent mutuellement compréhensifs et ouverts.
À propos des transports publics, quel peut et doit être leur rôle dans la mobilité de demain?
Les transports publics représentent l’instrument maximal de partage et il constitue un pilier central du tournant de mobilité. Il est bien et important d’investir dans le développement du système de transports publics. Pour que les transports publics restent attractifs à l’avenir et représentent une véritable alternative, ils doivent évoluer en permanence.
Ă€ quoi pensez-vous?
Nous ne devons pas réduire les transports publics à l’ordre de grandeur classique – train, bus, tram. Le terme de «Mobility as a Service» est bien adapté: l’objectif doit être d’associer différentes formes de mobilité et de les rendre accessibles aux clientes et clients sur une plateforme de la manière la plus simple possible.
On déplore le manque de telles offres aujourd’hui.
Nous ne parviendrons à rompre les habitudes de mobilité bien établies que si nous proposons des alternatives attractives et efficaces. Il ne suffit pas de créer uniquement des mesures «pull» comme de nouvelles offres ou incitations, des mesures «push» sont aussi nécessaires, sous la forme de places de parc réduites et du calcul des vrais coûts du trafic automobile.
L’évolution technologique joue aussi un rôle: fin 2022, Mobility a lancé avec ses partenaires le projet pilote «V2X Suisse» et a pu démontrer que la technologie de recharge bidirectionnelle était possible sur le plan technique. Quel potentiel percevez-vous dans cette évolution?
La technologie de recharge bidirectionnelle recèle un immense potentiel. En utilisant les batteries des voitures électriques comme batteries de stockage, la voiture peut devenir un véritable booster du tournant énergétique. Tout dépend des conditions-cadres permettant l’exploitation rentable de telles technologies.
Indépendamment du V2X, quel est le rôle du car sharing dans le mix de mobilité du futur?
L’idée de pouvoir utiliser un large portefeuille de différents véhicules qu’on n’a pas besoin de posséder est un pilier essentiel d’une politique de mobilité intelligente, compte tenu de la problématique croissante des surfaces disponibles dans les zones urbaines. Le car sharing complète idéalement les transports publics et peut couvrir des cas dans lesquels le vélo ou le train sont moins adaptés. Le potentiel est loin d’être épuisé dans ce domaine.
Dans quelle mesure?
La numérisation offre l’opportunité de simplifier considérablement l’accès à de telles offres. Les systèmes d’assistant personnel basés sur IA transformeront le choix du moyen de transport et le rendront plus rationnel. Les préférences des utilisateurs peuvent aussi être enregistrées dans le cloud au lieu du véhicule de façon à ce que la technologie haptique des véhicules de location puisse s’adapter presque automatiquement aux préférences individuelles.
Osons nous tourner vers l’avenir: à quoi ressemblera la mobilité dans 20 ou 30 ans?
Personne ne le sait. Et il est difficile de donner des prévisions fiables. Il existe tout simplement trop de facteurs qui peuvent influencer l’évolution dans ce secteur.
Je pose alors la question différemment: êtes-vous optimiste en ce qui concerne le futur de la mobilité?
Malheureusement, je ne perçois pas suffisamment de raisons pour être confiant pour l’instant. L’un des problèmes est que nous ne sentons pas encore vraiment les effets des changements climatiques. En d’autres termes, la pression n’est pas encore assez importante pour que nous soyons prêts à changer nos habitudes de vie. Dans le même temps, il me faut être optimiste en tant que chercheur sur la mobilité.
C’est-à -dire?
Il est décisif que nous développions ensemble, au niveau sociétal, une nouvelle vision en matière de mobilité. À quoi doit ressembler la ville de demain? Quelle est notre vision pour le vivre-ensemble du futur? Si nous nous penchons activement sur ces questions et que nous tirons les conclusions qui s’imposent, le tournant est possible. Cela requiert de la force et de la persévérance, mais le jeu en vaut la chandelle.
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