Il n’est que 9h30 du matin, le soleil brille déjà impitoyablement du ciel. Lorsque nous rencontrons Daniele Farrace sur un emplacement Mobility à Tesserete, près de Lugano, le thermomètre affiche déjà plus de 30 degrés. Les conditions ne sont pas idéales pour une interview vidéo, mais le Tessinois de 36 ans sourit malgré sa chemise et ses pantalons longs. «La chaleur correspond bien au thème.» Les températures qui régnaient fin août dans toute la Suisse sont «supérieures à la moyenne» même au Tessin, explique le docteur en ingénierie (EPF). C’est le moment idéal pour parler de la transition énergétique.
M. Farrace est Chief Innovation Officer chez Azienda Elettrica di Massagno (AEM) SA, un gestionnaire de réseau de distribution. L’entreprise emploie environ 25 collaborateurs et s’occupe d’environ 9'000 clients. «Nous sommes petits, c’est pourquoi nous devons être innovants et agiles», souligne M. Farrace. Et voici l’opérateur de réseau local: en début d’année, l’entreprise a reçu le prix de l’énergie Watt d’Or.Cet honneur s’explique par un projet réalisé dans le petit village de Lugaggia, où AEM a pu augmenter considérablement la consommation propre de la commune grâce à un regroupement intelligent de consommateurs d’électricité et de producteurs solaires. Pour M. Farrace, de telles distinctions ne sont pas une raison de se reposer sur ses lauriers, bien au contraire. «Plus vite nous pourrons accélérer la transition énergétique, mieux ce sera.»
Optimisation de la production d’électricité
Comme à Lugaggia, AEM a également relié différents établissements des communes de Massagno et Tesserete en un regroupement de consommation propre (RCP). Il s’agit de groupes de ménages ainsi que d’immeubles commerciaux et de loisirs qui produisent et partagent de l’énergie à partir de sources renouvelables. Et c’est là qu’intervient le projet «V2X Suisse» : l’idée de V2X ou de la recharge bidirectionnelle est que les voitures électriques ne consomment pas seulement de l’électricité, mais qu’elles la réinjectent dans le réseau lorsqu’elles ne roulent pas. «Cette technologie nous permet de stocker la surproduction de nos installations photovoltaïques dans les batteries des voitures pendant la journée. Le soir, lorsque les installations photovoltaïques ne produisent plus d’électricité, nous réinjectons l’énergie de la voiture dans le réseau local.» Ce n’est que lorsque l’énergie disponible est consommée que le réseau électrique public est mis à contribution. Pour piloter ce processus, AEM mise sur un algorithme intelligent. Il évalue les profils de charge des ménages agrégés sur la base des données de consommation antérieures et des prévisions météorologiques actuelles.
Les voitures électriques recèlent un «potentiel énorme»
Daniele Farrace croit fermement en l’avenir de V2X. C’est pourquoi il s’engage pleinement dans son projet annexe «V2X Suisse». D’autant plus qu’en 2035, environ 2 millions de véhicules électriques circuleront sur les routes suisses. «Cette évolution recèle un potentiel énorme.» Comparaison: alors que la centrale nucléaire de Leibstadt atteint aujourd’hui une puissance nominale d’environ 1,22 gigawatt d’énergie électrique, 2 millions de voitures électriques ont le potentiel de produire environ 15 gigawatts d’électricité.
Dans une prochaine étape, l’exploitant de réseau local Azienda Elettrica di Massagno entend développer des modèles commerciaux en collaboration avec ses partenaires du projet annexe V2X Mobility, Primeo Énergie, la centrale électrique de la ville de Zurich, la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse et la Haute école spécialisée de Suisse orientale afin que le modèle V2X soit rentable à l’avenir. M. Farrace souligne que les défis ne se situent pas en premier lieu dans le domaine technique. «La technologie est là et fonctionne. Ce qu’il faut, c’est des conditions-cadres adaptées», explique M. Farrace. La législation et les réglementations en Suisse sont encore trop conservatrices. L’ingénieur ne se laisse pas abuser par cela. «Par notre engagement, nous voulons contribuer activement à la transition énergétique.» Pour atteindre cet objectif, le pionnier du V2X accepte volontiers des interviews à plus de 30 degrés.
Cet article a été rédigé à mi-parcours du projet à l’automne 2023.
Qu’est-ce que «V2X-Suisse»?
Le projet de recherche limité dans le temps s’est déroulé de manière opérationnelle de l’automne 2022 au printemps 2024. 50 voitures électriques bidirectionnelles Honda ont été intégrées à l’exploitation normale de car sharing de Mobility. Il s’agissait du premier test à grande échelle avec des voitures électriques à chargement bidirectionnel en Suisse. Il devait montrer comment cette technologie peut rompre les pics de charge du réseau électrique et comment les emplacements dotés d’installations photovoltaïques peuvent optimiser leur consommation. Il s’agissait en outre d’analyser le potentiel économique des véhicules bidirectionnels en Suisse et de tester la concurrence entre les clients potentiels de flexibilité aux trois niveaux du réseau (Swissgrid, gestionnaires de réseau de distribution et regroupement pour la consommation propre).
Le rapport final sera publié en été 2024 sur ARAMIS (la base de données de recherche de l’administration fédérale). ARAMIS - La base de données de recherche de l’administration fédérale - page d’accueil (admin.ch)
Conclusion: le projet a démontré la faisabilité technique et a donné un élan à la technologie bidirectionnelle. Il a montré qu’en plus du V2H (Vehicle-to-Home) qui a fait ses preuves, le V2G (Vehicle-to-Grid) fonctionne aussi techniquement, tant au niveau du réseau que du système. Mais une exploitation économique pour une entreprise de car sharing n’est pas encore rentable à l’heure actuelle.
Outre Mobility, les entreprises suivantes ont participé au projet: le constructeur automobile Honda, la plateforme logicielle sun2wheel, le développeur de stations de recharge EVTEC, l’agrégateur tiko, ainsi que novatlantis en tant que collaborateur scientifique (en collaboration avec l’ETH Zurich). Le projet est soutenu par le programme pilote et de démonstration de l’Office fédéral de l’énergie OFEN.
Images Copyright:Patrick Besch
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