Des classes d’école qui vendent des gâteaux pour une bonne cause. Des bénévoles qui collectent des biens de première nécessité et les transportent en minibus dans des zones de crise. Des familles qui accueillent, spontanément et sans formalités, des réfugiés chez eux. Au cours des dernières semaines, la guerre en Ukraine et ses conséquences ont soulevé une gigantesque vague de solidarité. Le fait que, à quelques heures de vol seulement de chez nous, se déroule une guerre effroyable touche profondément les Suisses aussi. Le recueil de plus de 107 millions de francs (au 4 avril) de dons pour les victimes de la guerre en Ukraine par la Chaîne du bonheur en témoigne également.
Surmonter les crises ensemble
Le mot «solidarité», toutefois, n’est pas omniprésent seulement depuis le début de la guerre en Ukraine. On l’a aussi souvent entendu durant la pandémie de COVID. Le fait que ce thème soit d’une telle actualité ne surprend pas Peter G. Kirchschläger. À la tête de l’institut d’éthique sociale de l’université de Lucerne, ce théologien de 45 ans est entre autres conseiller auprès d’organisations nationales et internationales. «Nous connaissons tous des moments où nous avons besoin d’aide. D’un autre côté, chacun d’entre nous est en mesure d’apporter une aide dans certaines situations.» Cela s’est révélé plus vrai que jamais au cours des deux dernières années. «La crise du COVID nous a montré sans équivoque que nous ne pouvions pas lutter individuellement contre le virus et ses conséquences, mais seulement en tant que membres de la société», écrit également Janine Seitz dans l’étude de tendance «Die Welt nach Corona» (le monde après le COVID). Nous ne pouvons surmonter les périodes difficiles qu’ensemble. Ce constat pourrait bien aussi être l’un des moteurs de la grande solidarité envers les réfugiés ukrainiens.
Pour Peter G. Kirchschläger, il ne faut toutefois pas oublier un point essentiel: «Une vraie solidarité inclut toujours tout le monde.» Autrement dit, apporter son aide à un groupe de personnes tout en négligeant les besoins d’un autre groupe ou en excluant des individus, ce n’est pas être véritablement solidaire. Et de citer en exemple le débat qui a lieu depuis quelques semaines au sujet des réfugiés «de première et de seconde classe». De même, le fait que des parties de la communauté mondiale n’aient toujours pas accès au vaccin contre le COVID est contraire au principe de solidarité. «Une vraie solidarité va en outre toujours de pair avec des faits et gestes concrets», explique P. G. Kirchschläger. Affirmer symboliquement sa solidarité, en manifestant par exemple pour la paix, a certes une importance, mais ne suffit pas en soi. «On ne peut parler de solidarité que lorsque les conditions de vie des personnes concernées sont effectivement améliorées et de manière substantielle.»
Aider a le vent en poupe
Bien que ces deux dernières années, toutes les questions soient loin d’avoir fait l’unanimité et que l’on ait même parlé de scission de la société, Peter G. Kirchschläger tire un bilan positif. Toutes les souffrances que la pandémie a fait peser sur la société ont conduit beaucoup de gens à s’interroger sur ce qui est véritablement important pour eux. «Nous avons repris davantage conscience de principes comme la liberté, la dignité humaine, les droits de l’homme et la démocratie», déclare le théologien. Puis il ajoute: «La majorité de la population est en outre parvenue à développer une plus grande empathie à l’égard d’autrui et à veiller sur les autres.» Un grand nombre de personnes se sont soutenues mutuellement, en allant faire des courses pour des personnes âgées ou malades par exemple. Par ailleurs, des aides ont été mises en place dans de nombreux endroits, de groupes Facebook comme «Basel hilft» jusqu’à des applications qui mettent en relation les aidants avec les personnes ayant besoin d’aide. De plus en plus de personnes semblent être prêtes à proposer activement leur aide et à s’engager pour la société. D’après l’Office fédéral de la statistique, en Suisse, la population effectue en moyenne 1,6 heure par semaine de travail bénévole; il peut s’agir par exemple d’un engagement au sein d’organisations de la jeunesse, de partis politiques, d’associations sportives ou des pompiers locaux.
Consommer perd de son importance
Janine Seitz, futurologue et chercheuse en tendances, estime que la solidarité croissante qui s’est développée durant la pandémie va avoir un impact sur le commerce et la consommation de demain. L’expérience de la crise a mis au jour un besoin profond de consommer pour son plaisir de manière plus consciente et plus sociale, et «jamais aux dépens des autres, mais avec eux». De plus, d’aucuns ont constaté que mener une vie agréable et comblée ne dépend pas du nombre de biens de consommation que l’on possède ou utilise. «Consommer pour consommer va donc passer au second plan à l’avenir», pense Janine Seitz. «Ce changement de perspective est l’expression d’un recentrage sur ce qui est vraiment important pour soi.»
Les utilisateurs de Mobility sont-ils plus solidaires en soi?
Peter G. Kirchschläger le croit et l’espère. Il souhaite en particulier voir s’installer une économie reposant sur les droits de l’homme et une utilisation plus durable des ressources. Mobility Société Coopérative en est un bon exemple. L’éthicien lucernois sait bien lui aussi que la plupart des voitures de Suisse sont immobiles en moyenne 23 heures par jour et que 11 véhicules privés circulent autant qu’une voiture Mobility. «Il s’agit là d’un incroyable gaspillage de ressources.» Suivant la devise «partager au lieu de posséder», les utilisatrices et les utilisateurs des offres de car sharing apportent une précieuse contribution à une mobilité plus durable. «Cela aussi est une forme de solidarité», souligne P.G. Kirchschläger. À cela vient s’ajouter le fait que les personnes qui partagent une voiture avec d’autres font aussi généralement preuve d’un plus grand soin. En effet, l’utilisateur suivant ne doit pas avoir à jeter des déchets laissés par un autre ni à faire des manœuvres compliquées pour sortir le véhicule de l’emplacement où il est garé.
Reste à savoir si cette solidarité mise à l’honneur depuis quelque temps sera durable à long terme. Il est difficile de répondre à cette question, déclare l’éthicien lucernois qui conclut: «J’ai du moins l’espoir que nous sommes devenus plus attentifs, en tant qu’individus mais aussi en tant que société.»
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