Martin Schonger, on entend de plus en plus parler de la «mobilité numérisée». Pouvez-vous nous dire brièvement de quoi il s’agit?
Il s’agit de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans la mobilité, que ce soit par le biais d’une application pour les trottinettes électriques, de l’alerte de franchissement involontaire de ligne dans la voiture ou d’une commande numérique.
Qu’est-ce que la mobilité intelligente et numérique nous apporte?
Elle nous apporte beaucoup, d’une part avec plus d’efficacité et moins de pollution, par exemple grâce à une meilleure gestion et de la capacité et de la flotte des trains et des avions. D’autre part, elle diminue le nombre de retards grâce à la «Predictive Maintenance». Les ordinateurs peuvent par exemple prévoir le besoin de réparation de la porte d’un train avant qu’elle ne soit cassée. Grâce aux nombreux systèmes d’assistance dans les transports, nous roulons par ailleurs avec plus de sécurité.
Pour que le «changement de cap des transports» intervienne, les voitures doivent communiquer entre elles et avec leur environnement. À quoi cela pourrait-il concrètement ressembler?
L’Homme n’est pas fait pour conduire une voiture. Sur le plan de l’évolution, nous sommes adaptés à la marche et à la course. Ces dernières n’occasionnent d’ailleurs guère de collisions fatales, à l’exception des mouvements de foule. Dans notre forme de mouvement initiale, nous pouvons communiquer de façon tout à fait intuitive et souvent inconsciente avec les autres piétonnes et piétons, pour leur faire savoir là où nous souhaitons aller et comment nous pouvons nous contourner. Avec la conduite automobile, ce n’est pas possible parce que la vitesse est trop élevée et le contact visuel trop faible. Ce sont justement ces caractéristiques que la voiture du futur doit acquérir. Il existe déjà aujourd’hui des assistants au freinage d’urgence. Il serait encore mieux que la voiture qui roule devant nous puisse nous faire savoir en permanence si elle freine, si elle change de voie ou si elle vient de remarquer une plaque de verglas. Les voitures doivent prendre exemple sur l’Homme et devenir plus sociales.
Les voitures multiplient les systèmes d’assistance. Quels sont ceux existant déjà et ceux qui sont annoncés?
Il existe bien sûr les systèmes connus comme les systèmes d’aide au stationnement, les régulateurs de vitesse adaptatifs, les systèmes de freinage d’urgence, eCall, etc. Grâce à la 5G, on peut espérer l’apparition d’assistants sociaux de communication. En d’autres termes, votre voiture transmettra des informations en continu à toutes les autres voitures et en recevra à l’inverse de la part des autres véhicules environnants. Imaginez-vous 2025 ainsi: à un kilomètre devant vous, des voitures conventionnelles entrent en collision. Une voiture connectée moderne passe à côté. Elle envoie une vidéo en direct aux services de secours et informe toutes les voitures du secteur. Votre voiture enclenche automatiquement le signal de détresse, freine lentement et contrôle la vitesse. Vous êtes maintenant dans un embouteillage, tandis que deux kilomètres derrière vous, un véhicule de secours roule sur l’autoroute; votre voiture est automatiquement informée et vous rappelle de former le couloir de secours.
Les fabricants automobiles connectent de plus en plus de composants à Internet, par exemple les amortisseurs. Quel est l’intérêt?
Cela génère des données qui peuvent être exploitées de diverses manières. La «Predictive Maintenance» déjà évoquée est l’une de ces applications: votre smartphone vous informe que vos amortisseurs doivent être changés avant qu’ils ne soient complètement usés. Il pourrait être possible d’indiquer précisément aux offices de la circulation routière les problèmes devant être résolus sur la base des signalements de nombreux usagers de la route.
Les critiques mettent en garde contre une surveillance totale. Cette peur est-elle justifiée?
Il ne s’agit pas d’un problème spécifique à la mobilité. Aujourd’hui déjà , les gens ont leur smartphone en permanence sur eux et leurs mouvements peuvent être suivis à la trace à tout moment. On peut aussi penser à tous les e-mails non chiffrés. Ou au fait de rouler avec une plaque d’immatriculation. La numérisation de la mobilité ne change guère ces problématiques.
Quels sont les autres risques posés par la numérisation de la mobilité?
Dans le monde occidental, on a tendance à croire que toutes les technologies utiles doivent présenter des risques significatifs. En jetant un regard sur le passé, on voit que le bénéfice l’emporte largement pour presque toutes les technologies. Cela n’est d’ailleurs pas étonnant car les sciences et les techniques ont pour objectif de créer des technologies utiles pour l’Homme. Bien sûr, la numérisation comporte aussi des risques. L’un d’entre eux est la dépendance au smartphone – similaire à une addiction – et l’isolement social. Ou encore le piratage. Ce dernier est un risque dans tous les secteurs où la sécurité a son importance, du système de santé à la mobilité en passant par l’alimentation énergétique.
Conduire sans rien avoir à faire: les voitures autonomes devraient être l’aboutissement des évolutions numériques. Qu’en pensez-vous?
Plus de 1,3 million de personnes dans le monde meurent chaque année sur les routes. Les accidents de la route représentent la première cause de décès chez les jeunes. Les véhicules autonomes pourraient sauver près de la moitié de ces vies. Cela dépasse notre imagination. Les voitures autonomes constitueraient aussi une amélioration de la qualité de vie: tout le monde pourrait se permettre d’avoir un «chauffeur». Les personnes exclues du trafic motorisé individuel telles que les personnes en situation de handicap, les jeunes et les personnes très âgées pourraient ainsi profiter d’une participation sociale beaucoup plus équitable. On trouverait des taxis autonomes à une fraction des tarifs actuels, ce qui démocratiserait encore davantage l’automobile, comme y parvient déjà Mobility Société Coopérative.
Quand est-ce que les premiers véhicules autonomes circuleront sur les routes suisses?
On ignore encore quand les voitures sans volant de direction pourront circuler. Le problème se pose sur le dernier kilomètre. Sur les autoroutes, la conduite autonome est à portée de main. En 2030, tu circuleras sur l’autoroute à Rotkreuz, le volant de direction disparaîtra dans le tableau de bord, tu regarderas un film projeté sur le pare-brise et à peine huit heures plus tard, tu te réveilleras parfaitement détendu à Hambourg et conduiras toi-même les quelques derniers kilomètres jusqu’à ta destination.
La technologie change, mais le comportement en matière de mobilité et les attitudes évoluent également. Quels sont les développements que tu perçois ici?
Il faut voir l’Homme et la technologie comme un tout. L’Homme crée la technique d’une part, et d’autre part, la technique change le comportement humain. Il y a 20 ans, personne n’aurait pensé à avoir un smartphone alors qu’il s’agit de l’objet de consommation numéro un aujourd’hui. Je ne connais pas l’avenir, mais je perçois deux tendances: tout d’abord, la société prendra beaucoup plus conscience de l’importance de l’exercice pour notre santé. De nombreuses personnes se déplaceront à pied, même pour des trajets de plusieurs kilomètres. La seconde tendance concerne le nouvel âge d’or de l’automobile. Les voitures sont actuellement mal perçues. On les accuse de nuire au climat, d’être bruyantes, de provoquer des embouteillages et des accidents et d’être peu démocratiques. Avec les voitures électriques entièrement autonomes, qui circulent aussi comme taxis économiques, cette vision évoluera, tout comme l’attitude des gens par rapport à la voiture.
Martin Schonger est économiste et a enseigné à l’ETH, à l’université de Lancaster en Angleterre et à l’université de Princeton aux États-Unis, où il a obtenu son doctorat. Il est consultant auprès d’entreprises des secteurs de la technologie et de la mobilité, qu’il conseille notamment sur les conséquences économiques des voitures entièrement automatiques.
Nouvelle filière d’étude:
Depuis septembre 2020, 30 étudiants font partie de la nouvelle filière Mobility, Data Science and Economics de la Haute École de Lucerne. La filière interdisciplinaire est proposée par les départements Technique & architecture ainsi que Économie et Informatique à Rotkreuz ZG. Le délai d’inscription pour la prochaine rentrée est fixé au 30 avril 2021.www.hslu.ch/mobility.
Commentaires
Rêvera-t-on ensuite de pouvoir envoyer deux enfants chez leur grand-mère à Hambourg dans une voiture sans conducteur, pleine de distractions et de détecteurs de leur bien-être.
Or les données nous rappellent l'évidence: les gains en énergie, pas illimités, ne compensent pas l'augmentation de la consommation.
Monsieur Schonger, quelles sont les consommations nécessaires au trajet que vous décrivez vers Hambourg, SVP?
En octets, en KWh, en puissance et refroidissement de centraux informatiques, en énergie grise, en matériaux rares ?
Merci pour votre réponse.
EVz