Roland Hischier, quâest-ce qui alourdit ou allĂšge le bilan Ă©cologique des voitures Ă©lectriques et de leurs batteries?
Le bilan Ă©cologique dâun vĂ©hicule comprend la consommation en ressources et les Ă©missions produites pour la fabrication, lâutilisation et lâĂ©limination dâun vĂ©hicule et de tous ses composants, y compris la batterie pour un vĂ©hicule Ă©lectrique. Toutes ces Ă©tapes demandent de lâĂ©nergie, par exemple sous forme dâĂ©lectricitĂ©. La mĂ©thode de production de cette Ă©nergie influence considĂ©rablement le rĂ©sultat dâun bilan Ă©cologique.
Quelle est la situation actuelle dans lâindustrie?
Si on compare un vĂ©hicule essence Ă un vĂ©hicule Ă©lectrique, il existe des diffĂ©rences Ă chaque phase de son existence. La fabrication dâune voiture Ă©lectrique consomme dĂ©finitivement plus dâĂ©nergie en raison de sa grosse batterie, et prĂ©sente donc une charge plus Ă©levĂ©e quâune voiture essence. Lâindustrie lâa dâailleurs compris. Les entreprises sâefforcent aujourdâhui de dĂ©velopper toujours plus leurs propres mĂ©thodes pour une Ă©cologie accrue, et donc de meilleurs bilans Ă©cologiques. On peut citer en exemple lâinstallation de panneaux photovoltaĂŻques directement sur les toits des usines ou lâutilisation de courant vert pour faire baisser lâintensitĂ© en CO2 de la production.
Combien lâEurope est-elle «propre» en matiĂšre de production dâĂ©lectricitĂ©?
LâintensitĂ© en CO2 du mix dâĂ©lectricitĂ© varie trĂšs fortement dâun pays europĂ©en Ă lâautre. Elle dĂ©pend du parc de centrales utilisĂ© pour produire lâĂ©lectricitĂ© et peut aller de 23 grammes/kWh en NorvĂšge, oĂč lâĂ©lectricitĂ© provient quasi exclusivement de la force hydraulique, Ă 100 grammes/kWh en Suisse et jusquâĂ plus de 1â000 grammes/kWh en Pologne, oĂč lâĂ©lectricitĂ© vient presque uniquement de centrales Ă charbon. La progression de lâĂ©lectricitĂ© issue de sources renouvelables, comme le vent ou le soleil, continuera dâentraĂźner une baisse de lâintensitĂ© en CO2 de lâĂ©nergie dans les prochaines annĂ©es, si elle remplace lâĂ©lectricitĂ© issue de centrales Ă Ă©nergies fossiles.
«Ce nâest quâaprĂšs 30'000 Ă 60â000 kilomĂštres parcourus quâun vĂ©hicule Ă©lectrique produit moins de CO2 quâun vĂ©hicule essence», affirment lâinstitut allemand Fraunhofer-Gesellschaft et la RTS. Quâen pensez-vous?
Il nâest pas possible de rĂ©pondre simplement avec un chiffre. Divers facteurs entrent en ligne de compte, pour lesquels la Fraunhofer-Gesellschaft et «Kassensturz» ont de toute Ă©vidence assumĂ© diffĂ©rentes hypothĂšses. Comme je lâai dit prĂ©cĂ©demment, la fabrication dâune batterie Ă©lectrique gĂ©nĂšre de la pollution et des Ă©missions de CO2, qui nâont pas les mĂȘmes proportions pour un vĂ©hicule essence. En revanche, ce dernier produit des Ă©missions directes de CO2 lorsquâil roule, contrairement Ă lâĂ©lectrique. Pour lâexploitation dâune voiture Ă©lectrique, les Ă©missions de CO2 indirectes qui ne sont pas gĂ©nĂ©rĂ©es par le vĂ©hicule dĂ©pendent du mix dâĂ©lectricitĂ© utilisĂ© pour produire la batterie. Et la situation est ici trĂšs diffĂ©rente en Allemagne et en Suisse, ce qui explique les divergences entre les dĂ©clarations susmentionnĂ©es. Les rĂ©sultats donnĂ©s par «Kassensturz» reposent sur les donnĂ©es collectĂ©es par lâInstitut Paul Scherrer. Elles fournissent un Ă©tat des lieux en Suisse, câest-Ă -dire la charge de la batterie avec le mix dâĂ©lectricitĂ© suisse moyen.
Combien lâextraction de la matiĂšre premiĂšre des batteries, le lithium, est-elle critique?
Le lithium est rĂ©pertoriĂ© sur la liste des matiĂšres premiĂšres critiques de lâUnion europĂ©enne en raison de son rĂŽle important dans les technologies modernes. LâAmĂ©rique du Sud et ses lacs salĂ©s, ainsi que lâAustralie, sont les principaux producteurs mondiaux de lithium. La stratĂ©gie en Europe, et donc aussi en Suisse, est dâĂ©laborer des processus de recyclage efficaces dans les prochaines annĂ©es, afin de pouvoir maintenir ce type de matĂ©riau en circulation aussi longtemps que possible.
Quâen est-il du cobalt?
Le cobalt figure lui aussi sur cette liste des matiĂšres premiĂšres critiques. Sa rĂ©gion principale dâextraction est la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, oĂč les conditions de travail sont parfois extrĂȘmement mauvaises. Câest pourquoi le cobalt compte parmi les «minĂ©raux des conflits». Dans ce cas, il est encore plus impĂ©ratif de trouver une mĂ©thode pour recycler autant que possible ce matĂ©riau Ă la fin de son cycle de vie et le maintenir en circulation.
Y a-t-il des alternatives au lithium et au cobalt en vue?
Dans le domaine international des batteries, des sommes considĂ©rables sont actuellement consacrĂ©es au dĂ©veloppement de nouveaux systĂšmes. Outre une hausse supplĂ©mentaire de la densitĂ© Ă©nergĂ©tique par poids, les aspects importants Ă cet Ă©gard sont la durĂ©e de vie, la recyclabilitĂ© accrue, mais aussi le prix dâune batterie. Le cobalt est lâun des matĂ©riaux les plus chers dans les batteries. On cherche donc Ă en rĂ©duire au maximum la quantitĂ© utilisĂ©e ou Ă remplacer cette matiĂšre premiĂšre par des matĂ©riaux moins problĂ©matiques, comme le nickel, le manganĂšse et lâaluminium.
Quelle est la situation concernant les terres rares? Et comment les définit-on exactement?
Les terres rares, ou plus prĂ©cisĂ©ment les mĂ©taux du groupe des terres rares, sont un ensemble de 17 mĂ©taux dans la classification pĂ©riodique, le «3e groupe» ainsi que les lanthanides. Bon nombre de ces Ă©lĂ©ments sont employĂ©s dans les technologies modernes, par exemple le nĂ©odyme pour les aimants permanents des moteurs Ă©lectriques. Il est donc dâune grande importance. On le trouve essentiellement en Chine, qui est responsable de prĂšs des trois quarts de la production mondiale de ce mĂ©tal et de beaucoup dâautres. Cela a ainsi conduit lâUE Ă lâinscrire par exemple sur la liste des matiĂšres premiĂšres critiques. La sociĂ©tĂ© est contrainte dâavoir une attitude bien plus responsable avec ces matĂ©riaux et de les utiliser de maniĂšre Ă ce quâils soient exploitĂ©s aussi longtemps que possible et quâils puissent ĂȘtre recyclĂ©s au mieux en fin de vie.
Pour conclure, comment voyez-vous lâavenir? Et que pensez-vous de la stratĂ©gie de Mobility de passer entiĂšrement Ă des voitures Ă©lectriques dâici 2030?
Les vĂ©hicules Ă©lectriques nous permettent dâĂ©mettre moins de CO2 pour chaque kilomĂštre parcouru et donc dâĂȘtre mobile en polluant moins quâavec un vĂ©hicule essence. Mais nous ne devons pas nous concentrer uniquement sur cette intensitĂ© en CO2 par kilomĂštre. Les sujets comme celui de la disponibilitĂ© limitĂ©e des matiĂšres premiĂšres critiques nous obligent, en tant que sociĂ©tĂ©, Ă nous poser plus largement la question de la «quantitĂ© autorisĂ©e» de mobilitĂ©. Et ce sur deux plans: nous devons tenir compte dâaspects environnementaux autres que le CO2 et nous devons inclure plus que la seule mobilitĂ© dans cette rĂ©flexion. Au final, nous nâavons quâune seule source Ă disposition pour lâensemble de nos activitĂ©s: notre planĂšte Terre.
Mobility est donc sur la bonne voie dâun point de vue stratĂ©gique, car elle utilise les atouts mentionnĂ©s de lâĂ©lectromobilitĂ©. De par son modĂšle dâaffaires, elle se rattache par ailleurs Ă la «shared economy», qui mise sur une utilisation partagĂ©e des ressources.
Ă propos
Roland Hischier a un doctorat en sciences de lâenvironnement de lâETH et dirige le groupe de recherche pour le dĂ©veloppement dâun instrument de bilan Ă©cologique, dans le service Technologie et sociĂ©tĂ© de lâEmpa Ă St-Gall.
Ce service crĂ©e et transmet des connaissances pour une transition vers une sociĂ©tĂ© durable, notamment grĂące Ă lâanalyse de nouveaux matĂ©riaux et technologies au regard de leurs rĂ©percussions Ă©cologiques et sociĂ©tales. Retrouve plus dâinformations sur les activitĂ©s de ce service de lâEmpa surhttps://www.empa.ch/web/s506/overview
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Commentaires
J'approuve ce terme.
Cela pose une rĂ©alitĂ© qui doit ĂȘtre mieux intĂ©grĂ©e par l'ensemble de la sociĂ©tĂ©.